Mémoire, histoire et loi en mission

Publié le par Christophe Dansette

Des historiens traînés devant la justice par des associations. Des revendications de lois mémorielles toujours plus nombreuses. Des lois de mémoires dénoncées par les historiens. Comment a-t-on pu en arriver là ? Pourquoi assiste-t-on à cette demande de lois mémorielles ?

Du jamais vu. Deux missions nommées pour traiter d’un même sujet : du rôle du législateur dans le domaine de l’histoire. Leur rôle ? Obscur, pour le moins.
Tout d’abord, une « mission pluraliste pour évaluer l'action du Parlement dans les domaines de la mémoire et de l'Histoire » était confiée par le président de la République au président de l’Assemblée nationale Jean-Louis Debré.
Ensuite, c’est Nicolas Sarkozy, président de l’UMP qui a demandé à Arno Klarsfeld un « travail approfondi sur la loi, l’histoire et le devoir de mémoire. » Une mission « non-concurrente » qui n’a « rien à voir avec celle de Debré », assure-t-on du côté de l’UMP. Une action pour flatter la communauté juive ? A l’UMP, on ne nie pas. « Elle servira éventuellement à établir le programme de Nicolas Sarkozy pour 2007 », explique-t-on. Klarsfeld  lui, travaillait seul. « C’est une réflexion personnelle que Sarkozy m’a confié. » Il n’a pas rencontré pas Jean-Louis Debré.
Personne n’aurait imaginé que le vote de loi du 23 février 2005 dont l’article 4, retiré depuis par le Conseil constitutionnel pour mettre fin à la poléque, précisait que « les manuels scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer » et qui est la cause de ces missions aurait de telles conséquences près d’un an plus tard. Le député du Nord Christian Vanneste, à l’origine du texte, n’en revient pas. « C’est scandaleux, l’affaire qui est montée autour de ce texte qui ne se voulait pas polémique », s’exclame-t-il. Et même si on a du mal à le croire, force est de constater qu’il a été voté à quatre reprises sans provoquer la moindre discussion, « passé comme une lettre à la poste ». « Même les députés socialistes soutenaient mon amendement », précise-t-il. Vanneste accuse : « c’est une polémique montée de toute pièce pour des raisons politiciennes. » Pas tout à fait.
A l’origine de la polémique, il y a des historiens. Célèbres et respectés. Ils dénoncent l’empiètement de la loi dans le domaine de la recherche historique. Ils se disent « persécutés » et « victimes de procédures judiciaires toujours plus nombreuses. » Dernière en date : l’affaire Pétré-Grenouilleau. L’historien de renom, auteur des Traites négrières, essai d’histoire globale (Gallimard) est traîné en justice par le collectif des Antillais-Guyannais-Réunionnais. Le collectif lui reproche d’avoir « tenu des propos niant le caractère de crime contre l’humanité de l’esclavage », selon son président Patrick Karam. (Depuis, la plainte a été retirée.)

La goutte d’eau

« C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase », commente l’historien Patrick Garcia ; « là les historiens se sont dit qu’il y a quelque chose qui ne va pas. » Dix-neuf d’entre eux ont décidé de marquer les esprits. Ils publient l’appel « Liberté pour l’histoire  » le 12 décembre dans Libération. Ils y réclament l’abrogation de certains articles des lois de mémoire. Quatre sont citées : la loi Gayssot de 1990 (sanctionnant la négation de crime contre l’humanité), la loi du 21 mai 2001 (reconnaissance de la traite négrière comme crime contre l’humanité), la loi du 29 janvier 2001 (reconnaissance du génocide arménien).
Le coup est une réussite. Le débat s’enflamme. Jean-Pierre Azéma, un des auteurs, explose : « ça suffit les lois mémorielles ! On ne va pas non plus légiférer sur les revendications des Albigeois ou des Vendéens. »
Aussi fou que cela puisse paraître, ces revendications existent. L’association Vérité pour la Vendée demande la « reconnaissance du génocide vendéen par l’Etat français » et d’inscrire la « vérité historique dans les manuels scolaires. » Ces demandes sont calquées sur le modèle de la loi Taubira de reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité. Déjà la loi du 23 février 2005 en était une mauvaise réplique. « Une mauvaise réponse de droite à une loi de gauche », souligne Patrick Garcia. Toutes ces lois s’attachent à reconnaître un fait historique et à lui imposer une place dans les manuels scolaires. Ce sont les « nouvelles lois de mémoire. » Pourquoi se multiplient-elles ? Et pourquoi l’Etat cède-t-il aux revendications d’associations ?

« L’Etat cède aux entrepreneurs de mémoire »

« Les enjeux de mémoire sont devenus de plus en plus importants dans le débat politique français  depuis les années 1970 », explique l’historien Gérard Noiriel. Les hommes politiques cèdent à des « revendications d’entrepreneurs de mémoire. » Dernièrement, aux Harkis et aux Pieds-noirs.
Les différentes associations font pression sur l’Etat, car « conformément à une très longue tradition politique française, le pouvoir centralisé peut seul produire une légitimité incontestable et institutionnaliser les devoirs de mémoire », commente le sociologue Schmuel Trigano.
C’est la mémoire de la Shoah qui sert de modèle à toutes les autres. Elle est vue comme « le paradigme de la mémoire réussie », souligne Barbara Lefèbvre de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme. « Chaque groupe veut obtenir autant que ce qu’a obtenu la communauté juive. » Et cela passe par exemple par le nom des associations. L’association des Fils et filles d’africains déportés de France, par exemple, a repris le nom des Fils et filles des déportés juifs de France de Serge et Béate Klarsfeld. Cela passe ensuite par un lobbying intense auprès des parlementaires. Parfois les lois suivent.
La loi Gayssot avait ouvert la brèche dans un contexte particulier. C’était l’époque de la profanation du cimetière de Carpentras. Les écrits négationnistes circulaient librement. L’historienne Madeleine Rébérioux, elle-même ancienne déportée, décédée aujourd’hui, était une des seules personne à affirmer son opposition à une loi à cette époque. Elle craignait qu’une telle loi « n’entraîne quasi inéluctablement son extension un jour à d’autres domaines qu’au génocide des juifs : autres génocides et autres atteintes à ce qui sera baptisé « vérité historique ».  » Elle ne s’était pas trompée.
    Les revendications de mémoire sont le résultat d’un « changement de l’enseignement de l’histoire », selon Patrick Garcia. « Il y a encore quelques années, on enseignait l’histoire comme un roman national. Les élèves avaient leurs héros : Vincingétorix ou Jeanne d’Arc. Aujourd’hui s’en est fini. La mémoire n’est plus organisée autour d’un projet national, mais autour de la souffrance qu’un groupe a endurée », explique-t-il. « Chacun essaye de faire légitimer sa propre souffrance. » « Il y a des lois de mémoire parce qu’il y a des gens qui souffrent », ajoute Arno Klarsfeld. « Les lois de mémoire tomberont sûrement un jour en désuétude, mais pour l’instant il est beaucoup trop tôt », conclut-il.
    Le discours est assez différent dans les associations. Elles dénoncent « un coup d’Etat d’historiens » sur la mémoire, selon les mots de Patrick Karam. Pour Alexis Govciyan, secrétaire national du Comité de défense de la cause arménienne, « les lois mémorielles existent parce qu’ aucun historien ne conteste publiquement les discours négationnistes.  Une forme de silence qui choque les victimes. » Et de donner quelques exemples : « Est-ce qu’on a entendu les historiens répondre à Bernard Lewis (accusé d’avoir nié l’existence du génocide arménien, ndlr) ou à Dieudonné ? »




Publié dans Politique

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A
Bonjour, si je peux me permettre d'ajouter un article sur les lois mémorielles: http://turquieeuropeenne.over-blog.com<br /> Cela peut vous intéresser. Cordialement,
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L
Bonjour,<br /> Aujourd'hui, je vagabonde dans l'annuaire over-blog. Ma souris c'est arrêtée sur votre blog. Intéressant ton article !<br /> Bonne continuation.<br /> <br /> à bientôt<br />
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