Sabra et Chatila : Retour sur un massacre

Publié le par Christophe Dansette

Alors qu’Ariel Sharon est toujours dans un état critique, on rappelle souvent (et à juste titre d’ailleurs) dans sa biographie, sa « responsabilité indirecte » dans les massacres de Sabra et Chatila. « Sabra et Chatila » est devenue une expression courante, symbole de la cruauté israélienne, de Tsahal ou d’Ariel Sharon. Cependant, ceux qui utilisent cette expression ne savent souvent pas de quoi il s’agit. Ils n’ont aucune connaissance historique du Proche-Orient. Ils ne mesurent pas non plus la complexité géopolitique de la région. C’est pour cela qu’il convient de faire un petit rappel de ce qu’étaient les massacres de Sabra et Chatila.

La connaissance de ce dramatique événement reste limitée, et ce seront les historiens qui reviendront dessus lorsque les différentes archives seront ouvertes. Mais il y a des certitudes que la plupart des chercheurs partagent. Ces dernières n’ont pas tellement évoluées depuis les conclusions de la commission Kahan de 1983. Le rapport de cette commission d’enquête israélienne reste un des documents les plus précieux pour la connaissance des faits.



Les certitudes :

Le contexte tout d’abord. Le Liban est plongé dans la guerre civile depuis 1975. Au début des années 1970, un grand nombre de Palestiniens, chassés de la Jordanie se réfugient au Liban. Parmi eux : Yasser Arafat, chef de l’OLP (Organisation de libération de la Palestine). L’OLP mène des raids contre Israël à partir du Liban Sud.

 

 

Le 6 juin 1982, Israël intervient et entre au Liban. L’opération ne vise pas Beyrouth dans un premier temps. Mais Israël fait le siège de la ville. La communauté internationale se réunit et après d’intenses négociations, Yasser Arafat accepte de quitter le Liban avec son armée. Des troupes françaises, britanniques et américaines de pacification sont dépêchées dans la région.

Le 14 septembre, c’est le tournant. Le président chrétien du Liban Bashir Gemayel est assassiné. La communauté chrétienne veut se venger. L’armée israélienne décide d’entrer dans Beyrouth, afin de sécuriser la ville et éviter un bain de sang que pourrait causer la vengeance de la mort du Premier ministre. Les Israéliens décident aussi de désarmer les combattants Palestiniens, restés sur place, en violation avec l’accord international.

Les faits. Dans la nuit du 16 au 17 septembre, des milices phalangistes (chrétiennes) menées par Elie Hobeika entrent dans les deux camps. Lorsque l’armée israélienne, postée à proximité, apprend que des civils palestiniens ont été tués pendant cette opération, le général Eytan, rencontre les Phalangiste et leur demande de quitter les camps. Mais ces derniers ne s’exécutent pas. Le lendemain, ils sont toujours sur les lieux. C’est le général Israélien Yaron qui exige des Phalangistes qu’ils quittent immédiatement les camps. Ces derniers obéissent enfin. Le 18 septembre au matin, l’armée israélienne découvre l’ampleur du massacre en entrant dans les camps. Ils demandent à la population de se regrouper dans le stade, où les survivants reçoivent à boire et à manger.

Les inconnues :

Tout d’abord, le nombre de victimes. Les évaluations les plus basses et irréalistes sont celles des autorités libanaises qui parlent de 460 morts. Les plus importantes sont véhiculées par militants palestiniens qui parlent de plusieurs milliers de morts, ce qui semble exagéré selon les experts.
Israël a établi une commission d’enquête sur les responsabilités israéliennes dans cette affaire, dirigée par Itzhak Kahan, le juge de la Cour suprême. Le rapport, publié en 1983, donne le chiffre avancé par l’armée israélienne de 700 à 800 victimes. Enfin l’historienne Bayan Nuwayhid al-Hout qui a consacré un livre au massacre liste 906 victimes et 484 disparus (Sabra And Shatila - September 1982, Pluto Press, 2004).

La deuxième incertitude : pourquoi les Israéliens ont-ils laissé les Phalangistes entrer dans les camps ? Plusieurs hypothèses sont avancées. Il semblerait qu’Israël voulait désarmer les combattants palestiniens dans ces camps. Hobeika avait proposé à Ariel Sharon d’arrêter des activistes et de les rassembler dans le stade. Il lui aurait garanti que les civils ne seraient pas tués. Tous les responsables Israéliens ayant témoigné devant la commission Kahan ont affirmé que jamais, ils n’avaient imaginé un massacre d’une telle ampleur. Ils n’avaient pas cru que les milices phalangistes pouvaient commettre de tels crimes. L’opération de désarmement devait à l’origine être exécutée par l’armée israélienne et les troupes Phalangistes. Mais, le ministre de la Défense israélien n’a pas vu d’inconvénient à ce que les Phalangistes mènent l’opération seuls. C’est cette décision qui lui est tellement reprochée (en premier lieu par la commission Kahan). C’est pour cette raison que M. Sharon a dû démissionner par la suite.

Ariel Sharon était en tant que ministre de la Défense responsable de l’armée. Il a sous-estimé la cruauté des Phalangistes. Il a aussi omis de rapporter au Premier ministre israélien Menahem Begin que des massacres avaient été perpétrés. Ce dernier a appris l’information par la BBC au soir du 18 septembre. C’est pour ces deux raisons que la commission Kahan a estimé que M. Sharon avait une responsabilité indirecte dans les massacres. En revanche, la commission rapporte également que M. Sharon a immédiatement agi pour stopper les massacre dès lors qu’il en avait saisi l’ampleur.

Publié dans Proche-Orient

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P
Bravo Christophe, pour le site (découvert par PER) et pour l'analyse prudente, donc nuancée, des problèmes. Sans atténuer la responsabilité des milices des Forces libanaises dans les massacres, comme je l'ai écrit, Sharon était bien à Bikfaya au moment du déclenchement de l'opération de la prise de Beyrouth-Ouest le 14 septembre 1982, et je me souviens de la tête congestionnée d'Amine Gemayel raccompagnant son encombrant visiteur et des menaces des miliciens si je faisais état de cette visite dans mes dépêches. Ensuite, le 17, quand nous avons pu nous y rendre, l'armée israélienne était encore à la sortie nord du camp de Chatila, avec un officier qui interrogeait les prisonniers lesquels étaient emmenés jusqu'au stade puis embarqués sur des camions. Que les milices aient fait office de "piston" pour repousser par la terreur ce qui restait des combattants palestiniens du sud vers le nord de la nasse, c'est simplement une question d'organisation logistique, avec une répartition des rôles. Beaucoup de cauchemards ensuite, beaucoup de souvenirs encore douloureux...
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S
Bonjour Christophe, je suis très content que vous teniez votre blog avec assiduité et sur des sujets aussi variés. Les paroles ne restent donc pas toujours dans le désert. Et les miennes, et les vôtres. A bientôt,
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